Eté 1962 : de l’Algérie aux côtes françaises, l’odyssée du Saint-Michel

En 1962, en épilogue douloureux à la guerre d’Algérie, près d’un million de personnes sont rapatriées en France. Parmi eux, des pêcheurs opérant dans les différents ports de la côte algérienne. Comme les autres pieds-noirs, ils doivent tout quitter. Beaucoup veulent alors ramener leur embarcation en France. Le gouvernement va l’autoriser pour les chalutiers, qui sont des bateaux d’un tonnage suffisant pour affronter la haute mer. L’un des premiers, le Marcel Campio rejoindra Port-Vendres, avec 30 personnes à son bord. Bien d’autres suivront.

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Le Marcel Campio (photo internet)

 

Mais qu’en est-il des bateaux plus petits. Pour des raisons de sécurité, le gouvernement leur interdit la traversée. Mais pour un pêcheur, le bateau représente son outil de travail, et bien plus encore. Certains décident donc de braver l’interdiction et de tenter la traversée.

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Le Saint-Michel

Parmi eux, le Saint-Michel. Construit à Oran en 1953 par un charpentier d’origine italienne (ses formes trahissent ses ascendances transalpines), le Saint-Michel est un bonitier utilisé pendant une dizaine d’années pour la pêche côtière par une famille de Mers el-Kébir, petite localité située dans le golfe d’Oran. Mais, avec ses 8,90 mètres de long pour 3,20 mètres de large, le Saint-Michel n’est pas du tout taillé pour la haute mer. Qu’à cela ne tienne. Et pour tromper la vigilance des autorités, il faut donc ruser.

Cinq bateaux seront du voyage. À bord de chacun, deux à cinq marins composent les équipages. Seuls les hommes embarquent, les femmes et les enfants étant rapatriés par les moyens mis à disposition par le gouvernement français (navires, avions). Un jour du mois de juillet, les embarcations quittent Mers el-Kébir pour les îles Habibas, situées à quelques milles seulement des côtes et couramment fréquentées par les pêcheurs locaux. La petite flottille n’attire donc pas l’attention. La nuit venue, les cinq bateaux s’amarrent les uns aux autres par de longues aussières pour ne pas se perdre puis, tous feux éteints, filent vers le large. Si la météo est convenable, il faut entre un jour et demi et deux jours pour rallier l’Espagne. Avec pour seul instrument de navigation une boussole d’écolier, les barques filent plein nord. Le port de destination visé est Carthagène en Espagne, à une centaine de milles de là. La traversée se déroule sans encombre, mais poussés par les vents et courants plus forts que prévus, c’est à Alméria, un peu plus à l’ouest, qu’arrivent finalement les pêcheurs oranais.

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Le périple du Saint-Michel

L’accueil en Espagne est plutôt chaleureux. La flottille entame alors le long de la côte espagnole une remontée vers le nord qui va durer un mois et demi. Le but initial de l’expédition est Port-Vendres où se sont déjà installées des familles de pêcheurs rapatriées. Les caps Creus, puis Béar sont doublés sans encombre, mais la rade de Port-Vendres est tellement bien abritée dans une anfractuosité de la côte que les marins OLYMPUS DIGITAL CAMERAvenant du sud passent devant sans s’en apercevoir. C’est en définitive à Port-la-Nouvelle que les bateaux s’amarrent. Là prend fin l’épopée collective. Certains continuent leur route vers Marseille, d’autres rebroussent chemin pour revenir à Port-Vendres. Le Saint-Michel reste à Port-la-Nouvelle où son patron décide de s’installer. Il sera l’un des quarante-deux bateaux venus d’Algérie qui s’établiront dans ce port. Puis, au fil des années, cette flottille se dispersera. Avec la modernisation de la flotte de pêche, ces embarcations seront revendues. Certaines retourneront en Afrique et pratiqueront la pêche jusqu’au large de Dakar.

Et le Saint-Michel ? Après son arrivée, il sera encore utilisé pendant deux ans pour la pêche, puis passera de mains en mains. Il servira à un club de plongée sous-marine, puis sera vendu à des plaisanciers. On le retrouve quelques années plus tard à Carnon, puis à Palavas. Il est ensuite acheté par un groupe d’amis qui le rebaptise la Trapanelle et le grée en voile latine. Cédé en 2007 à Marine & Traditions, le club de voiles traditionnelles de Palavas, le bateau fera l’objet d’une restauration complète au chantier de la Plagette à Sète ; les membres de l’association y consacreront plus de 1 300 heures de travail. En 2009, il retrouve son nom d’origine et reçoit la reconnaissance de Bateau d’Intérêt Patrimonial. Depuis, il fait la fierté de l’association et a fêté en 2013 ses 60 ans.

Si vous passez à Palavas, pensez à l’odyssée qu’il vécut il y aura bientôt soixante ans.

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Le Saint-Michel à Palavas

3 réflexions sur “Eté 1962 : de l’Algérie aux côtes françaises, l’odyssée du Saint-Michel

  1. La bateaux sont comme les hommes ils ont leurs histoires, leurs voyages, les accidents, leurs réparations. Ce doit être émouvant pour ceux qui ont vécu cette triste histoire de la guerre d’Algérie de lire cet article. Merci Hervé d’exhumer de la « petite histoire » celle qui fait la vie des hommes de mer et nous la conter avec ton talent et ta passion de la mer de notre belle région.

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    1. Merci à toi Serge pour ce commentaire. Et oui, ces histoires de déracinement ont toujours été dures ; elles le sont encore aujourd’hui. Et ces bateaux nous racontent leurs histoires…

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  2. des hommes ( des vrais) et des bateaux c’est toute l’histoire de « mare nostrum » qui se superpose à cette douloureuse et triste odyssée de ces français d’Algérie – Guy

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