« Je voulais vivre une autre vie ». Voilà résumé le projet de Gilles qui consacra dix-sept années à construire seul, après ses heures de travail, une goélette de 20 mètres dans un hangar près d’Arras, pour aller ensuite naviguer une dizaine d’années dans les Antilles. Une sacrée histoire.
On m’avait dit : « Il est dans le bassin principal, à Leucate, tu ne peux pas le louper. » En effet, un Grand Schpountz, avec ses deux mâts inclinés, cela se remarque de loin. Arrivé devant le bateau, je m’arrête un instant pour admirer l’élégance des lignes. Sur le pont, Gilles s’active un pinceau à la main. Il ne cesse en fait de bichonner son bébé qui lui a couté plus de 22000 heures de travail lors de la construction.
C’est Jean-Luc, un ami navigateur, qui m’a mis sur la piste. « Mais si, souviens toi, ce reportage sur Thalassa il y a 30 ans ! ». Cela m’évoquait en effet un vague souvenir. Une recherche rapide sur internet et l’on tombe sur le site de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) où l’on accède (en s’abonnant) au reportage magnifique réalisé à l’époque par Lise Blanchet, journaliste historique de l’émission de Georges Pernoud et diffusé en octobre 1991. Reportage qui recevra l’année suivante le prestigieux prix Albert Londres. Elle suit pendant dix-huit mois les dernières étapes de la construction du bateau jusqu’à sa mise à l’eau dans la Scarpe, rivière du Pas-de-Calais qui passe à proximité.
On y découvre Gilles Puchois qui détaille les différentes étapes de son projet, débuté en 1974 alors qu’il avait 31 ans. On le voit ensuite casser le mur du hangar pour pouvoir faire sortir le bateau, posé sur un camion lequel est tiré par trois tracteurs pour l’extraire de la boue du champ qu’il doit traverser. On perçoit l’admiration mêlée de sidération sur le visage des voisins venus assister à l’opération, la fierté du maire du village. On assiste à l’arrivée du ministre de la mer, Jack Mellick dont l’épouse sera la marraine du bateau. Le reportage met aussi l’accent sur les déchirures qui apparaissent au sein de la famille : Maryvonne apporte un soutien sans faille à son mari et Sabrina, la plus jeune des trois filles choisit de partir avec eux. Mais l’ainée Valérie ainsi que Géraldine la cadette décident de rester en France et vivent douloureusement cet épisode. Une plaie difficile à cicatriser.
Nanti de cet historique, me voici sur le pont, accueilli chaleureusement par le couple. Maryvonne me guide à l’intérieur, qui est magnifique. La longue coursive offre une perspective étonnante ; les cabines sont superbes. Armoires, équipets, ouvrages en marquèterie, tout est sorti des mains en or de Gilles.



De retour sur le pont, la conversation s’engage et nous revenons à la genèse du projet. Passionné depuis toujours par les bateaux, Gilles construisait depuis des années des modèles réduits. Un jour, son épouse l’abonne à Voiles et Voiliers où il découvre les plans du Schpountz. Il réalise alors une maquette (plusieurs mètres de long, quand même…). Nous sommes en 1974 quand il décide alors de le bâtir pour de vrai, sans réaliser alors dans quoi il vient de se lancer. Après avoir trouvé un hangar pour abriter le chantier, il achète le bois. Cette fois, ça y est : il se doit d’aller jusqu’au bout. Vont suivre dix-sept années consacrées quasi-exclusivement à la construction du bateau qu’il réalisera presque seul. Maryvonne son épouse interviendra sur la fin pour les finitions. Dix-sept années à travailler les 35 m3 de bois, les 300 kg de colle, les 150 kg de clous et les 50 kg de peinture. La goélette sera toute en bois (frêne, iroko, acajou), les mâts en lamellé-collé de pin d’Oregon.


Pendant toutes ces années vouées à la construction, la famille parvient quand même à naviguer grâce au comité d’entreprise de France Télécom (Gilles y est employé). Deux semaines par an, ils embarquent ; Gilles gagnera en expérience et deviendra même skipper. C’est en 1990 que Shenandoah (qui signifie Rêve réalisé en Amérindien) touche l’eau (douce) pour la première fois, sur la Scarpe, la rivière qui passe à proximité. Un an plus tard, premier contact avec l’eau salée à Calais. Cette fois, tout est prêt. Une demi-journée pour s’assurer que tout marche bien et c’est le grand départ. Maison et salon de coiffure de Maryvonne vendus, on imagine les adieux déchirants avec les proches, notamment les deux filles qui ont choisi de rester à quai.
Le parcours est classique : golfe de Gascogne, descente jusqu’à trouver les alizés qui en vingt-cinq jours de traversée amènent la famille Puchois aux Antilles. Rapidement, le rêve initial qui consistait à joindre la Chine ou la Nouvelle-Calédonie est abandonné : Maryvonne est sujette à un sévère mal de mer qui ne passera jamais. Pendant la transatlantique, elle a assuré ses quarts de nuit, un saut à côté, mais plus question de traversées au long-cours.
Du coup, les dix années suivantes s’étireront entre les Antilles et le Venezuela où Shenandoah se réfugie tous les ans pendant la saison des cyclones. Gilles, qui a passé entretemps son diplôme de Patron Pilote de Voile, fait du charter environ 40 jours par an pour remplir les caisses. Le reste du temps, ce ne sont que de longues et interminables vacances.
Après dix années passées à écumer la mer Caraïbe, Gilles et Maryvonne prennent la décision de rentrer. Leur fille Sabrina est déjà revenue depuis plusieurs années et exerce le métier de skipper professionnel. Ils décident alors de poser leurs sacs en Méditerranée, mais pas sur la Côte d’Azur où les ports sont très chers. Arrivés au niveau du Barcarès, ils sont pris dans un coup de vent et viennent s’abriter à Leucate. Ils n’en partiront plus. Depuis, ils partagent leur temps entre leur maison des Alpes-de-Haute-Provence et Shenandoah où ils passent quatre à cinq mois de l’année. L’âge venant, ils reconnaissent sortir de moins en moins, la dernière navigation remontant à deux ou trois ans. Et se pose le problème de l’avenir du bateau : rester dans la famille ou pas.
En attendant, entre coups de pinceau et albums photos souvenirs, le temps continue de passer sur Shenandoah, le rêve réalisé de celui qui voulait vivre une autre vie.
Je me souviens avoir vu l’émission Thalassa qui en parlait. C’était dans les années 90
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En effet Claude, c’était en 1991 ; je l’avais vu aussi….!
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