Ils sont assez rares ces lieux du littoral épargnés par les constructions et peu fréquentés, y compris en saison. En voici un, et qui plus est, chargé d’une histoire peu banale.
Le Bourdigou est un petit fleuve côtier de quelques kilomètres de long, formé en réalité de plusieurs branches. L’une, juste après sa source traverse le village de Torreilles. L’autre, la plus longue (soit dix kilomètres) prend naissance au-dessus de Pia, près de Perpignan. Les deux ruisseaux se rejoignent pour atteindre la mer entre la plage de Torreilles (au nord) et celle de Sainte-Marie-La-Mer (au sud).

Si une route, puis un chemin longent la rivière à quelque distance, c’est en canoë que l’on profite le mieux de ce parcours remarquable.

Nous embarquons au niveau de la base nautique du Paroudé, juste après Torreilles. Un ponton flottant permet de traverser le cours d’eau en tirant sur une chaine et d’atteindre la base située sur l’autre rive. Astucieux ! Je suis séduit par ce concept d’activité touristique. Quelques installations légères ne faisant pas tâche hors saison et permettant aux vacanciers de découvrir la rivière de façon discrète et respectueuse. Un principe dont beaucoup de communes du littoral devrait s’inspirer.


Immédiatement, nous voici seuls sur la rivière. Nous progressons tranquillement entre deux rangées de roseaux. En l’absence de vent, l’eau est plate comme un miroir. Parfois, une anse creuse la berge. Puis, c’est un affluent qui vient grossir les eaux de notre petit fleuve. Nous dérangeons parfois une colonie de canards sous l’œil d’un couple de hérons qui nous observent, perchés sur la branche d’un arbre. Un peu plus loin, c’est un cormoran qui passe au ras du fleuve. Par moment, une agitation en surface nous indique une intense activité sous-marine. Qui nous est confirmée par quelques spectaculaires sauts de poissons. Bref, ce lieu grouille de vie. Nous croisons parfois des promeneurs en canoë ou paddle. La plupart sont silencieux comme nous, s’en mettant plein les sens et se hissant par leur attitude discrète au niveau du site dans lequel nous nous trouvons.


Au bout d’une grosse demi-heure, les roseaux s’espacent et les dunes apparaissent. Après avoir laissé rive droite une grande et ancienne bâtisse, voici enfin l’embouchure. Une barre de sable s’est formée, freinant la progression du fleuve et c’est un mince filet d’eau qui se faufile jusqu’à la mer. Deux jetées discrètes sécurisent l’estuaire.

La plage n’est pas très fréquentée ; il est vrai que venant de Torreilles ou de Sainte-Marie, il faut marcher quelque peu pour atteindre l’embouchure. Je suis toujours séduit par ces lieux mystérieux où l’eau douce se mêle à celle salée de la mer. En ce jour de vent marin, les vagues qui commencent à se former s’opposent au cours d’eau et tentent de le refouler.

Vers le nord, la plage s’étire jusqu’à la falaise de Leucate tandis que dans le lointain, la Clape barre l’horizon. Au sud, la ligne sombre des Albères laisse deviner en contrejour les différentes successions de collines. La tour Madeloc que l’on distingue permet de situer le cap Béar. Celui de Cerbère se détache sur la mer, et Creus met comme un point final à cette ligne de crêtes.
Paysage superbe qui explique en partie pourquoi un village a existé ici, sur la plage même, pendant une cinquantaine d’années et dont il ne reste rien.
Nous sommes en 1921. Des pêcheurs des villages environnants qui pratiquent la pêche à la traine construisent sur le sable des paillotes dont l’ossature est constituée de bois flottés récupérés sur la plage, puis recouverte de sanils, ces roseaux que l’on trouve abondamment autour des étangs. Ils peuvent y entreposer leur matériel et dormir sur place. En 1936, les congés payés permettent à des millions de français de partir de chez eux. Beaucoup découvrent la mer. Des habitants de la région, séduits par ce lieu enchanteur, décident d’y bâtir des cabanes.
Ces constructions seront détruites pendant la guerre par les Allemands qui craignaient un débarquement et voulaient avoir plage nette. Elles seront reconstruites après-guerre ; les premiers occupants seront alors rejoints par beaucoup de réfugiés espagnols, rescapés de la Rétirada qui montent à leur tour leurs cabanons avec des matériaux de récupération : bois flotté, tôle… En 1965, la Mission Racine d’aménagement du littoral prépare le terrain pour les nouvelles stations. Un village du même type est rasé pour faire place aux immeubles du Barcarès. Chassées de là, plusieurs familles viennent s’installer au Bourdigou.


Cabanes en roseaux (photo copie d’écran du film « Histoire du Bourdigou » par Mr Carrère Lucien)
Ce sont alors quelques 400 cabanes qui constituent ce hameau où plusieurs milliers de personnes viennent passer l’été. Il s’agit pour la plupart de gens de condition modeste n’ayant pas les moyens de se payer des vacances à la mer. Alors on s’organise : les cabanes en roseaux sont progressivement remplacées par des constructions en bois, les sentiers deviennent chemins. Certains installent un potager grâce à quelques tonnes de terre rapportée ; l’eau est obtenue par des forages de quelques mètres ou par récupération de l’eau de pluie.
Mais comme tous les rêves, celui-ci va connaitre une fin. Je me souviens d’une interview où l’un des tenants de la mission Racine expliquait qu’il allait falloir mettre fin à ces bidonvilles qui jalonnaient notre côte. Ces baraques avaient été bâties sans autorisation, certaines sur le domaine maritime. Des tractations ont lieu : on propose aux habitants d’acquérir des appartements dans la station qui commence à sortir de terre. La plupart refusent, faute de moyens suffisants. Et cette vie en appartement ne correspond pas à l’idée qu’ils se font de leurs vacances à la mer. Les premiers bulldozers entrent alors en action. Le Comité de défense du Bourdigou est créé en août 1976. Des manifestations sont organisées, des chansons sont composées. Cet épisode est magnifiquement raconté dans le documentaire « Le Bourdigou ou la bataille du littoral » réalisé en 1976 par Claude et Michel Mare (33 minutes, disponible sur You Tube). Las, rien n’y fera et les cabanes situées sur le domaine maritime sont rasées en octobre de la même année.
Il ne reste plus aucune trace du village, si ce n’est dans les mémoires de certains.
Seule consolation, rien n’y a été bâti à la place ; le site appartient désormais au Conservatoire du Littoral qui en assure la protection.

Tout en pensant à cette histoire ancienne, nous embarquons à regret sur le canoë et remontons le cours du fleuve, le Canigou en ligne de mire, poussés par le vent marin qui s’est levé et qui porte jusqu’à nous la nostalgie du Bourdigou.

Merci Hervé pour cette belle ballade sur le Bourdigou, un petit cours d’eau
que je connais bien à 1 km de chez moi
Au plaisir de te revoir .Amitiés
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Encore une fois tu nous fait faire une jolie promenade…
Michel
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Merci Michel, notre littoral est d’une richesse infinie, pour qui sait apprécier ce type de paysages et ce genre d’histoire
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Magnifique. Merci pour cette parenthèse calme et silencieuse au milieu de la nature
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Merci pour ce commentaire. Il est vrai que ce lieu est apaisant et qu’un peu de nostalgie ne nuit pas.
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Toujours très intéressant, je ne connaissais pas du tout. Merci
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Merci à toi, Claude
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