Même si le soleil a repris sa marche en avant, janvier reste encore un mois de ténèbres où l’envie de lumière commence à se faire sérieusement sentir. Quoi de mieux en attendant des jours plus lumineux que de s’offrir une escapade ensoleillée au sein de l’archipel du Frioul, en rade de Marseille ?
Quand on y arrive par la mer, il est difficile de distinguer les îles de la côte avec laquelle elles se confondent. Un œil rivé sur la carte, l’autre sur les éventuels écueils qui pourraient se dresser devant l’étrave, nous contournons l’île Ratonneau par l’est, nous nous glissons dans la passe qui la sépare du château d’If cher à Alexandre Dumas. Après avoir laissé sur tribord la bouée cardinale sud qui signale un haut-fond, voici enfin l’entrée du port où nous nous amarrons sur pendille au quai des visiteurs.
L’archipel du Frioul est constitué des deux grandes îles Ratonneau et Pomègues, d’If et de l’îlot Tiboulen. Son nom est issu du provençal frieu qui désigne un étroit passage maritime, rappelant celui qui initialement séparait les deux îles principales. Situé sur le territoire de la commune de Marseille, il en constitue l’un des quartiers, et appartient au 7ème arrondissement.
Sa position avancée en pleine rade de Marseille, véritable sentinelle en avant du Vieux-Port lui confère très vite un intérêt stratégique. De nombreuses fortifications couvrent les hauteurs des îles depuis le règne d’Henri IV. Louis XIV, puis Napoléon firent à leur tour évoluer le système de défense.
C’est en 1822 que fut construite la digue Berry qui relie désormais Pomègues et Ratonneau, transformant ce mouillage forain connu depuis l’antiquité en véritable port abrité de tous les vents.
Aujourd’hui, une centaine d’habitants permanents vivent à l’année dans les appartements construits devant le port, mais les navettes amènent régulièrement depuis le Vieux-Port marseillais et touristes venus le temps d’une journée s’offrir une escapade insulaire.
Dès que l’on se lance sur l’un des nombreux sentiers qui sillonnent les deux îles, on est saisi d’emblée par le côté minéral qui écrase le visiteur. Très peu d’arbres et quelques rares buissons composent la végétation du site. Et partout la pierre qui luit au soleil et vous renvoie sa lumière éclatante. Nous sommes bien dans les îles du soleil.

Commençons par Pomègues. Le chemin qui part de la digue nous conduit bientôt vers la calanque de l’ancien port. Parfaitement abritée du mistral, cette anse constituait jadis la rade naturelle de l’île. D’ailleurs, les voiliers au mouillage ne s’y sont pas trompés. En ce jour où le mistral fait des siennes, ils se balancent tranquillement au bout de leur chaine.
C’est ici également que venaient mouiller les navires en provenance du levant et soumis à la quarantaine. Car c’est par la mer qu’arrivaient les grandes pandémies : peste, puis choléra et fièvre jaune. La république de Venise est la première à instituer un lazaret en 1423. Elle sera imitée par tous les grands ports de Méditerranée. Le lazaret le plus ancien connu à Marseille était celui d’Arenc qui aurait été bâti dès le 15ème siècle. Mais dès le siècle suivant, on assigne ce rôle au site du Frioul qui a l’avantage d’être complètement isolé de la ville. Au 19ème siècle, le dispositif sanitaire sera complété par l’hôpital Caroline édifié sur Ratonneau pour traiter la fièvre jaune. Quant à l’ancien port de Pomègues, il abrite aujourd’hui une ferme d’aquaculture.
Ratonneau réserve aussi son lot de merveilles. Ses nombreux sentiers vous mèneront de criques en promontoires offrant des vues à couper le souffle sur Marseille, dominée par Notre-Dame-de-la-Garde. Au premier plan, le château d’If où règne encore la présence d’Edmond Dantès. Juste après la digue qui ferme le port, l’étonnante maison des pilotes pointe son étrave. Bâtie en 1947, elle a la forme d’une proue. Elle abrite les pilotes qui guident les navires entrant en rade de Marseille ou dans le golfe de Fos.

Retour sur le port. J’y ai rendez-vous avec Jean-Claude, qui vit ici depuis une trentaine d’années. Membre, puis président d’Avenir Traditions Marine, association marseillaise de sauvegarde du patrimoine maritime, il fut également pendant de nombreuses années le patron de l’Aventure, pilotine de Bordeaux de 15 mètres de long hors tout.
Jean-Claude est intarissable : il me raconte ses navigations, la vie sur l’archipel, le temps des copains et des vieilles coques en bois. Ensemble, nous allons sur le ponton où se balancent doucement quelques vieux gréements. L’Aventure, dont il s’est séparé il y a quelques temps est toujours là. Construit en 1907 à Bordeaux, le bateau a connu bien des propriétaires, fait un long séjour en Allemagne, puis est revenu en France, à Marseille. C’est là que Jean-Claude le rachète à l’état d’épave en 1977. Notre homme, qui sait tout faire avec ses dix doigts, le rénove entièrement : changement des bordés, calfatage, pont, roof, mâture, moteur, électricité : une vraie cure de jouvence. A partir de là, il va pendant des années sillonner les côtes provençales et participer aux régates et rassemblements de vieilles coques. Des années parsemées d’heureux souvenirs.
Amarré juste derrière l’Aventure, Briséis se balance doucement. Construit pour Louis Renault par le célèbre chantier Camper & Nicholsons en 1930, ce cotre de 14 mètres hors-tout est un magnifique exemple de la voile classique des années folles. Détail étonnant, son premier propriétaire qui fit fortune grâce à l’automobile et au moteur thermique dota son navire d’un moteur électrique. Innovation typique d’un industriel visionnaire.
Après être passé en différentes mains, Briséis est racheté en 1984 par Daniel Imbert. Sous sa houlette, il va participer à toutes les régates classiques de la côte : Nioulargue, voiles de Saint-Tropez, Latina Cup… Il sert aussi de support à deux films publicitaires et apparait dans le film de Josée Dayan “Une clinique au soleil” avec à son bord Pierre Arditi, Evelyne Bouix, Julie Depardieu. A la belle saison, il pointe son étrave vers les plus belles côtes de Méditerranée : Baléares, Tunisie, Sardaigne, Malte, Corse, Capri et les îles éoliennes, Minorque… Daniel Imbert, son propriétaire, était d’une élégance rare, à l’image de son bateau. A côté d’une carrière dans l’enseignement, il consacra beaucoup de son temps et de son énergie à promouvoir la voile traditionnelle. Présent dans de nombreuses organisations, il présida notamment Avenir Tradition Marine de 2003 à 2010. Fidèle lecteur du blog, il enrichissait souvent les articles par des commentaires évidemment pertinents et toujours bienveillants. L’été dernier, nous devions nous retrouver au Frioul ; une opération l’a empêché d’honorer ce rendez-vous. Il m’avait alors conseillé d’aller voir Jean-Claude. « Il t’ouvrira toutes les portes ». Ce qui fut fait. Daniel s’était séparé de Briséis il y a quelques années, n’ayant plus l’énergie nécessaire à l’entretien d’un tel bateau.
Daniel nous a quitté en novembre dernier à l’âge de 84 ans. Cet article lui est dédié.
Ci-dessous un reportage de FR3 de 2 mn où Daniel nous fait visiter sa belle Briséis.
Bonjour Hervé,
Magnifique, ce reportage ! Parmi tous les vœux que je te souhaite, celui de continuer à nous faire rêver, cette année encore. Bien amicalement.
Vincent (ton voisin de ponton 😉)
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Merci Vincent…! Tant que j’y prendrai du plaisir et les lecteurs de l’intérêt, il n’y a pas de raison pour que cela cesse… A très bientôt sur le ponton…
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Bonjour Hervé,
C’est encore d’actualité de te souhaiter une excellente année 2023.
Je continue de suivre avec plaisir tes articles, qui me sortent d’un quotidien sédentaire.
Merci pour cela et bons vents.
Philippe
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Merci Philippe, comme quoi cela permet aussi de garder un lien… Bonne et heureuse année à toi et aux tiens !
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Très beau reportage sur Briseis et les Îles. Bonne Année et continue encore à nous ravir.
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Merci ! A bientôt donc…!
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