La tortue maraichère des salins de La Palme

Situé juste au nord de la falaise de Leucate, l’étang de La Palme est séparé de la mer par un étroit lido. En fonction de la hauteur des eaux (basses par vent de terre, hautes par vent marin), des îlots apparaissent comme autant de taches brunes sur le bleu de la lagune.

Une partie du plan d’eau est exploitée en salines depuis 1927. Comme tous ces espaces, il est divisé en rectangles qui offrent avant la récolte une extraordinaire mosaïque de couleurs.

Mais ce jour-là, ce n’est pas cela qui attire mon attention, mais un étrange objet flottant non identifié : la tortue maraichère de l’association Paysan terre mer.

Cet étonnant catamaran (de 6×10 mètres) constitué d’une structure posée sur des bidons servant de flotteurs est retenu par des ancres. Recouvert d’une bâche transparente faisant office de serre, il abrite un prototype de culture basée sur le principe de l’aquaponie, prenant le vivant comme modèle.

On s’explique !

Des bacs à poissons contenant 4m3 d’eau sont disposés sur le radeau. Ils sont remplis d’eau douce (avec des truites) en hiver ou légèrement salée (avec des loups) en été. Juste au-dessus, des légumes sont cultivés dans des récipients remplis de petites boules d’argile.

Toute les heures, l’eau des cuves à poisson est pompée et asperge les légumes. Les déjections des poissons constitueront les nutriments nécessaires à leur croissance. Aucun autre apport (engrais ou autre) n’est nécessaire. Les légumes, eux, filtrent l’eau qui revient, épurée dans les bacs à poissons. Ils font office de station d’épuration. L’ensemble fonctionne donc en circuit fermé. Enfin presque, car on ne peut empêcher une partie de l’eau de s’évaporer, notamment en été. Les bacs sont alors rechargés par l’eau de l’étang (une dizaine de litres d’eau par jour en été). Cette dernière est pompée, recueillie dans un récipient recouvert d’une coupole ; chauffée par le soleil, elle s’évapore et l’eau (douce) qui coule le long du couvercle est récupérée pour alimenter les bacs à poissons. Cette technique permet d’économiser 85% d’eau par rapport à une culture classique.

Les différentes pompes utilisées par le système sont alimentées par des panneaux solaires. Depuis la terre, les utilisateurs peuvent contrôler les données et piloter l’ensemble avec un smartphone.

Cèleris, blettes, haricots, menthe, ciboulette, persil, tomates… poussent dans la tortue qui produit sur 15 à 20 m² l’équivalent de 200 m² en pleine terre.

Ce principe produit également les poissons, achetés jeunes et qui au bout de quelques mois atteignent la taille adulte. Le seul apport à leur alimentation est du lupin, une plante légumineuse des zones pauvres implantée entre autres sur le pourtour méditerranéen.

Installer la tortue sur l’étang offre de multiples intérêts : possibilité de pomper l’eau pour recharger les bacs, être à l’abri des prédateurs (animaux et humains), et être insensible à la montée des eaux ainsi qu’au risque de submersion.

L’association Paysan terre mer qui porte le projet défend « une agriculture de biens communs pour des territoires de vie plus vivants et accueillants ».

Leur credo se décline ainsi :

  • Produire localement dans nos villages du littoral en innovant avec ses habitants
  • Régénérer les sols (permaculture et agroforesterie, éco pâturage)
  • Rendre nos paysages plus résilients à la salinisation des terres, aux inondations et aux incendies. 

François Plassard, ingénieur agronome à la retraite et à l’origine de la tortue est intarissable : il explique que l’idée est née quand on s’est aperçu que le jardin partagé à terre, qui existait à l’origine en bord de lagune, n’était plus exploitable à cause de l’augmentation de salinité des sols.

« Puisque la mer vient à nous, allons à la mer ! » dit-il. Et d’expliquer qu’un programme de ce type, à grande échelle, pourrait aider à retrouver une souveraineté alimentaire, éviter de faire rouler des camions sur les routes depuis le sud de l’Espagne qui, de toute façon, ne pourra plus produire autant qu’avant à cause de la rareté de l’eau, économiser une eau douce de plus en plus précieuse, d’équilibrer nos régimes alimentaires en les basant sur le régime crétois, etc…

Ce procédé a déjà reçu plusieurs prix, dont l’un reçu aux rencontres du monde nouveau en 2019 à Perpignan, et remis par Mickael Kurticka, président de la COP 27 ; et il suscite l’intérêt de nombreux acteurs (comme celui du chargé de développement et d’innovation de la commune de Venise).

Dans l’immédiat, il est question de construire d’autres tortues de ce type sur quelques communes avoisinantes qui se sont montré intéressées. Et qui pourraient trouver là un début de solution au manque de terres cultivables et à la montée des eaux.

Ne soyez donc pas étonnés si vous voyez prochainement sur nos lagunes ces étranges tortues d’un nouveau type.

Note : toutes les photos (sauf celles par drones qui sont de l’auteur) proviennent de l’association Paysan Terre Mer, avec l’autorisation de François Plassard.

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