Rêvons un peu. Imaginons un tourisme littoral intelligent et sensible, respectueux des habitants, du site et de l’environnement, qui proposerait un accueil (gîte et couvert) dans un lieu unique, ouvert à ceux qui découvriraient le pays à pied ou en vélo. Un gîte sur le modèle des refuges de montagne, mais niché au creux de nos lagunes, bordé d’un côté par l’étang immobile et de l’autre par un canal inscrit au patrimoine de l’UNESCO.
Ne vous pincez pas, ce lieu existe. Bienvenue au refuge littoral de Sainte-Lucie, commune de Port-la-Nouvelle.
On y accède en suivant le chemin de halage qui longe la Robine : 3 km depuis Port-la-Nouvelle ou 18 km depuis la sortie de Narbonne, en suivant ce trajet fragile qui se fraie un chemin entre les étangs de Bages et d’Ayrolle. Le pont qui permet d’accéder à l’île se situe au niveau de la dernière écluse avant la mer. Vous voilà au cœur de la réserve naturelle régionale de Sainte-Lucie.


L’île a été acquise par le Conservatoire du Littoral dès 1983 ; puis ce sont les anciens salins qu’il rachète en 2007. Enfin, en 2009 la plage de la Vielle Nouvelle (domaine public maritime) est attribuée au Conservatoire. Ces trois entités sont déclarées Réserve Naturelle Régionale la même année. L’ensemble représente 825 ha classés dont la gestion est assurée par le Parc Naturel Régional de la Narbonnaise.
L’histoire de l’île est aussi riche que ses paysages sont variés. Il y a 2000 ans, les galères romaines passaient devant le promontoire du Roc Saint-Antoine. Au moyen-âge, les carrières de l’île servent à la construction de la cathédrale de Narbonne et d’autres édifices. Le canal des romains bâti à cette époque permettra aux navires de passer de l’étang d’Ayrolle à celui de Bages, avant de servir de débouché au canal de la Robine dans l’étang, jusqu’à ce que le dernier tronçon du cours d’eau soit réalisé de 1798 à 1812, prolongeant ainsi le canal jusqu’à La Nouvelle.
La quiétude du site contribua certainement à l’arrivée de moines sur l’île, une première fois au moyen-âge, puis ensuite au 17ème siècle. Pendant de nombreuses années, les pêcheurs gruissanais vinrent ici placer leurs filets. Il faut rappeler que la commune de Port-la-Nouvelle, à laquelle le site est rattaché ne vit le jour qu’en 1844.
Au début du 20ème siècle, un grand domaine agricole exploite les champs, vignes et vergers qui recouvrent l’île. Les grands bâtiments (maison de maitre et dépendances) datent de cette période-là. Ce n’est qu’après 1945 que le site se couvrira progressivement de forêts.
Puis, au tournant des années 2000, une partie de la bâtisse abritera le chantier naval dirigé par Yann Pajot, lequel a déménagé en 2018 sur le site de Mandirac non loin de là.
C’est en 2015 qu’est prise la décision de rénover les bâtiments de l’ancienne exploitation, mais aussi de remettre à jour des chemins oubliés, de restaurer des murs de pierres, de rendre la forêt plus résistante aux incendies… Les travaux, sous l’autorité du Conservatoire du Littoral et en partenariat avec l’Office National des Forêts commencent en 2018 pour se terminer en 2023.


L’inauguration officielle a lieu le jeudi 30 mars. Rendez-vous a été donné à 9h, à la maison éclusière, seule porte d’entrée sur l’île. Premier changement visible, la passerelle amovible qui permet de franchir le canal a été rénovée. Le petit groupe s’engage sur le chemin. Tout en progressant, nous écoutons les explications données par les représentants de l’ONF. Les arbres ici sont essentiellement des pins d’Alep et des chênes verts, mais on note aussi la présence d’autres essences, la diversité offrant une meilleure résistance aux incendies. Pour la même raison, la forêt a aussi été éclaircie (pas de buissons bas sous des arbres hauts pour éviter la progression du feu du bas vers le haut). Ici ou là, des murs de pierres ont été relevés, des points de vue dégagés. Quant aux bois morts laissés sur place, ils ont pour but de dissuader le passage des estivants en certains lieux, mais aussi de développer la biodiversité, en fournissant un abri aux insectes et un terrain favorable aux champignons.
L’inauguration des travaux forestiers va être faite à la forestière. Ce n’est pas un ruban qui va être coupé, mais un faisceau de branches. L’honneur en revient à Agnès Langevine, nouvelle présidente du Conservatoire du Littoral et vice-présidente de la région Occitanie. On lui remet pour cela un outil forestier étonnant. L’extrémité est constituée d’une hache, mais aussi d’un marteau dans lequel est gravée une marque. Ce sceau, unique pour chaque marteau, sert à marquer à la base les arbres devant être abattus. Cette technique instituée par Colbert est toujours appliquée et la contrefaçon de la marque est assimilée à de la fausse monnaie.


Un peu plus loin, nous empruntons le chemin des moines, qui a été restauré ; il n’était plus praticable après avoir subi une tempête il y a une quinzaine d’années. L’étroit sentier passe entre des blocs de rochers sur lesquels apparaissent les encoches destinées aux barres de fer qui permettaient aux religieux de barrer le passage avec des portes en cas d’attaque. Le chemin conduit à la chapelle du 12ème siècle qui a été elle aussi débroussaillée.

Nous parvenons ainsi en bord de canal, devant le grand portail qui ouvre sur la propriété. La restauration a été confié à deux architectes du patrimoine (Sylvie Rapp et Bruno Morin) qui se sont attachés à respecter l’esprit des lieux. Les travaux se sont déroulés dans un contexte particulier, étant interrompus par exemple lors de l’éclosion de bébés hirondelles. Tous les artisans (travail de la pierre, ferronnerie) ont été sélectionnés avec soin. Le résultat est remarquable.



Ce domaine sera géré par Rozenn Olichon et Eric Courgeon. Après avoir tenu pendant une dizaine d’années des refuges dans le Parc National de Pyrénées à 2300 mètres d’altitude, les voici revenus au niveau de la mer. Ils accueilleront désormais la trentaine de visiteurs qui peuvent dormir et partager ensemble autour d’une grande table un repas convivial pris en commun. La sobriété énergétique sera de mise, l’électricité étant fournie uniquement par les panneaux solaires et l’eau étant rare et précieuse.
Situé sur le trajet Eurovélo 8 qui relie Cadix à Athènes, ils ne manqueront pas de sollicitations entre Pâques et la Toussaint. Seul bémol, l’absence de ponton digne de ce nom pour ceux qui préfèreraient les raids en aviron ou canoé. Mais le débarquement est quand même possible.





L’intérieur de la bâtisse a été rénové avec autant de soin que l’extérieur (fontaine, bassin et jardins). Les dortoirs, le réfectoire, les petits coins où l’on peut bouquiner à loisir, et même la salle de réunion sont des lieux chaleureux où l’on passerait bien quelques heures.




Tandis que Yann Pajot arpente avec un brin de nostalgie ces lieux où il a vécu de nombreuses années, j’échange quelques mots avec Claudine Loste, du Conservatoire du Littoral. Véritable cheville ouvrière du projet, c’est elle, en randonneuse aguerrie, qui eut l’idée du refuge et qui porta l’ensemble du programme du début à la fin.
Un sacré défit pour un projet remarquable et qui a du sens. Et dont on aimerait qu’il inspire la politique de développement touristique de ce territoire pour les années à venir.
Et si on rêvait…
Article très instructif qui donne envie de découvrir le site
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Merci ! Je confirme, le site mérite largement d’être découvert ! Bonne visite…
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MERCI pour cette belle histoire de renaissance d’un lieu chargé d’histoire. Tant d’âmes y ont laissé la trace de leur passage. Elles peuplent la paix des paysages…
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Merci pour ce joli commentaire…
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Encore une découverte ! Nous irons y trainer nos guêtres… Merci Hervé
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Tu ne seras pas déçu…!
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Merci beaucoup pour ce reportage , espérons qu’il servira d’exemple aux collectivités concernées par le respect de la nature.
A bientôt
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Je l’espère bien aussi !
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Encore un reportage qui fait rêver ! Vue de loin (mais une prochaine balade permettra d’en découvrir toute la richesse), cette mise en valeur d’un patrimoine exceptionnel donne envie d’en apprécier in situ toutes les évasions suggérées !
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