Escale à Sète : la grande fête du patrimoine maritime en Méditerranée

Bien qu’étant plutôt porté sur les sorties en pleine nature où le calme, la solitude et la beauté des paysages vous ouvrent sur l’univers tout en vous renvoyant à vous-même, j’aime aussi les manifestations populaires où une foule mue par la même passion vient partager un moment ensemble. Ce fut encore le cas lors d’Escale à Sète, le weekend de Pâques.

Catalanes de la Latina Cup

Si le patrimoine maritime languedocien et catalan est bien vivant et ce blog s’en fait souvent l’écho, il manquait sur notre côte un grand rendez-vous permettant de réunir en une unité de lieu et de temps les amoureux de vieilles coques et de traditions nautiques. Le mal est réparé puisque depuis 2012 la bonne ville de Sète accueille tous les deux ans vieux gréements, grands et petits, pour une grande fête où passion rime avec convivialité. Et cette année correspondant au 350^ème anniversaire de la ville, la fête n’en fut que plus belle.

En flânant ainsi de quais en canaux, on passait sans transition des grands navires (3 ou 4

Canots à moteur

mâts) aux barques catalanes et autres pointus provençaux. Dans les rues, on circulait avec bonheur entre ateliers de matelotage et démonstration de fumage de poissons, balade agrémentée de chants de marins.

Au hasard de nos déambulations, nous avons d’abord croisé les belles catalanes de la Latina Cup, association de Palavas. Un peu plus loin étaient amarrés deux superbes canots à moteur dont les cuivres brillaient de mille feux. Ensuite, j’eus droit à un bon verre de muscat offert par l’équipage du Saint-Pierre, autre catalane de La confrérie des Gens de Mer venue également de Palavas. Enfin, arrêt devant le Gyptis de Marseille. Ce canot cousu est la réplique d’une barque phocéenne du VI^ème siècle avant JC retrouvée dans le port antique de Massalia en 1993. Une occasion unique d’échanger avec tous ces équipages de passionnés.

Confrérie des Gens de Mer – Palavas

Les premiers grands voiliers sont alignés un peu plus loin.

Coup de cœur pour la Nao Victoria, reproduction de la Victoria, le seul bateau de l’escadre de Magellan à être revenu de son périple, et donc premier navire à avoir bouclé un tour de monde. Partie en août 1519 de Séville, la flottille de Magellan comptait cinq bâtiments dont

La Noa Victoria

la Victoria, l’un des deux plus petits. Trois ans plus tard, cette dernière rentrait seule au port après avoir bouclé la première circumnavigation. Que pensaient-ils alors, ce 6 septembre 1522, les 18 matelots survivants (sur les 265 qui avaient embarqué) en remontant le Guadalquivir ? Avaient-ils conscience de l’exploit accompli ? L’un d’entre eux, Antonio Pigafetta, jeune italien érudit et tenté par l’aventure tint pendant tout le voyage un journal de bord grâce auquel nous savons tout sur l’une des plus grandes expéditions de l’histoire. C’est particulièrement émouvant de passer sur le pont de ce navire haut et étroit, à l’image des caravelles, d’apercevoir la cabine du capitaine ou la soute à vivre particulièrement bien reconstituées, de toucher la barre manœuvrée par un palan (la barre à roue ne sera inventée que deux siècles plus tard).

Sur le quai d’Alger sont amarrées les plus grandes unités. Le Dar Młodzieży est un voilier de type trois-mâts carré en acier battant pavillon polonais. Long de 108 m, il arbore une fière

Le Dar Mlodziezy

mâture culminant à 50 m de haut. Cuivres rutilants, cordages lovés avec soin, équipage sur son trente-et-un, c’est vrai qu’il a de la gueule.

 

 

 

 

Juste à côté, la Santa Marina Manuela est la fierté de la marine portugaise pour laquelle elle sert de navire-école. Goélette à quatre-mâts de 67 m de long, elle fut construite en 1937 par la Companhia União Fabril de Lisbonne, puis utilisée comme navire de

Santa Maria Manuela

pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve. Enfin, juste devant elle, le Marité lancé en 1923 également comme navire morutier. Chacune de ces campagnes rapportera entre 100 et 160 tonnes de morues. Qui sait, quand la nuit aura ramené un peu de tranquillité, sous le regard protecteur de l’Abeille Flandre amarrée non loin, ces deux bateaux se seront peut être racontés des histoires du temps jadis, celui de Pêcheurs d’Islande, celui de la grande pêche, quand les équipages partaient plusieurs mois dans les brumes du grand nord affronter cette mer mangeuse d’hommes et pourvoyeuse de poissons.

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Quittons le monde des géants des mers pour revenir à taille humaine. Nous voici à présent sur le quai des bateaux catalans. Ils sont venus de Calella de Palafrugell, de Badalona, d’Ametlla de Mar, ou de Cambrils, mais aussi d’Argelès, Collioure, Banyuls ou du Barcarès. Catalans du nord et du sud réunis pour partager le plaisir d’être ensemble. Invité à monter sur Notre-Dame-de-Consolation, sardinal construit en 1913, classé monument historique en 1992 et basé à Argelès-sur-Mer, je discute pendant près d’une heure avec Michel Rohée et Père de Prada qui ont voué trente ans de leur vie à la survie et la valorisation du patrimoine maritime méditerranéen. Ils me font partager leurs souvenirs des premières manifestations de vieux gréements, et des échanges chaleureux de part et d’autre d’une frontière qui pour un marin n’a d’ailleurs pas de signification.

ND de Consolation

Une dernière flânerie entre les stands le temps de glisser doucement vers la soirée, entre huitres et vin blanc, bien entendu face à la Criée, l’âme de Sète la Maritime.

Et cerise sur le gâteau, en ce dernier samedi de Mars, la luminosité exceptionnelle permettait d’apercevoir depuis la Corniche chère à Paul Valéry et Georges Brassens, le Canigou enneigé en arrière plan du Cap d’Agde.