Sète : entre mer et lagune, 350 ans d’histoire

Il y a des villes bénies des Dieux, et Sète en fait partie, assurément. Cernée par la mer et l’étang de Thau, sillonnée de canaux, l’île singulière chère à Paul Valérie et à Georges Brassens n’en finit pas de séduire et surprendre. Mais qu’est ce qui fait son charme ? Peut être les chalutiers et autres thoniers amarrés en plein centre ville. Certainement ce parler inimitable mâtiné d’expressions italiennes. Probablement aussi ses deux figures tutélaires, le poète et le chanteur. Et cette animation haute en couleur le long des quais à tout moment de l’année. Bref, Sète, c’est un port, un vrai où l’on peut rêver en voyant des ferries partir pour l’Afrique.

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Sète – façades

Sète est une création récente, née en 1666 de la volonté de Louis XIV d’établir un grand port en Languedoc. Situé au débouché du canal du Midi, adossé au Mont Saint-Clair, le site présentait toutes les qualités. En 1666 commence la construction du môle Saint-Louis, long de 650 mètres et qui abrite aujourd’hui le port de plaisance. Au XVIIIe siècle, des maisons sont édifiées sur les pentes du mont Saint-Clair, tandis que des forts (comme celui de Saint-Pierre, actuel Théâtre de la Mer) sont bâtis pour protéger la ville. Au XIXe siècle, l’âge d’or de la viticulture génère l’exportation massive de vin ; s’y ajoutent celles des céréales, du bois et de la tonnellerie, qui vont faire de Sète un grand port de commerce. Au XXe siècle, c’est la pêche qui se développe, dynamisée dans les années 1960 par l’arrivée des pieds-noirs. Aujourd’hui, Sète est le premier port de pêche français de Méditerranée ; le trafic de marchandises dépassait 3,5 millions de tonnes en 2011, tandis que plus de 200 000 passagers ont emprunté les lignes maritimes (et notamment les lignes historiques avec le Maroc vers Nador et surtout Tanger).

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Port de Sète

Dès que l’on est en ville, le côté maritime vous prend. Jouxtant la zone technique maritime où les bateaux sur leur ber passent au carénage, les barques du petit métier de la pêche se

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Sète – petits métiers

balancent les unes contre les autres. Sur le quai, l’habituel bric-à-brac des pêcheurs (cordages, filets, bouées surmontées de fanions…) avoisine les étals de vente de poissons (arrivage à neuf heures). Ce sont ensuite les chalutiers, amarrés de part et d’autre de la criée. Partis tous les matins vers 4 heures, ils reviennent vers 16 heures, empanachés de

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Chalutier

leur cortège d’oiseaux de mer, pour livrer le poisson à la criée (visite conseillée – voir office de tourisme). Tout autour, des restaurants populaires vous proposent l’arrivage du jour sur un coin de table. Le tout arrosé d’un Picpoul : que demande le peuple ? Un peu plus loin, sur le quai Durand, les thoniers y sont amarrés à couple. Ils sont impressionnants avec leur proue capable d’affronter les mers les plus formées, leurs superstructures bardées d’antennes et de radars.

Éloignons-nous du canal pour gravir les ruelles du Quartier Haut. Ces maisons, bâties sur les premières pentes du mont Saint-Clair, n’ont pas la superbe des beaux immeubles qui longent les canaux. Secteur populaire, lieu traditionnel des pêcheurs de Sète, le Quartier Haut a gardé son authenticité. Ici, le linge sèche aux fenêtres. Comme sur les quais, les gens s’interpellent avec ce parler et cet accent inimitables où les mots d’occitan se colorent d’expressions italiennes. Car ici plus qu’ailleurs, l’Italie a laissé son empreinte. Cela a commencé au milieu du XIXe siècle avec l’arrivée de familles de pêcheurs de Gaeta et Cetera, deux villages de la côte amalfitaine près de Naples. Depuis, Sète s’est nourrie de l’immigration italienne qui a apporté ses bras, son cœur et certaines techniques de pêche. Les noms de bateaux alignés sur le quai nous le rappellent aussi. Et les spécialités culinaires telles que la macaronade également.

Suivant les ruelles au hasard, je me suis retrouvé un jour devant le Seaman’s Club. Créée en 1990, cette association Sétoise a pour vocation d’accueillir les marins de commerce en escale. Ouverte en fin d’après-midi, elle offre dans ce local des services aux marins (courrier, Internet, journaux…) et leur permet de passer un moment dans une ambiance chaleureuse. L’association est aussi présente pour venir en aide aux marins abandonnés par leurs armateurs, comme cela s’est produit à plusieurs reprises ces dernières années. Ce

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Marins devant le Seamen’s club

jour-là, ce sont trois matelots philippins qui attendaient dans la rue l’heure de l’ouverture. L’un d’entre eux avait une quarantaine d’années, les deux autres étaient beaucoup plus jeunes. J’engageai la conversation. Un grand sourire aux lèvres, l’un d’eux m’expliqua leur situation en quelques phrases : partis pour une campagne de neuf mois sur un cargo italien, ils étaient en escale à Sète pour trois jours. Et ensuite, quelle destination ? Ils ne savaient pas, cela dépendrait de la cargaison embarquée sur place. Chacun avait un ordinateur portable sur les genoux ; ils dialoguaient ainsi avec la famille, femmes et enfants laissés à l’autre bout du monde. Ainsi va la vie des marins de commerce.

Redescendons lentement vers le canal royal. C’est là que tous les ans, depuis 1866, se déroulent les tournois de joutes de la Saint-Louis. Véritable institution, cette tradition comporte ses mythes, ses héros, ses anecdotes, son rituel, sa musique. Et le vainqueur de la catégorie « lourd » passera à la postérité.

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Les canaux

En longeant les canaux, nous voici à présent face à l’étang, plus précisément à la Pointe Courte. C’est un endroit exceptionnel. Presqu’île qui dans l’étang pousse un peu sa corne, c’est un quartier de pêcheurs fait de ruelles étroites. Au milieu de l’une d’entre elles traîne parfois un barbecue, vestige du repas de la veille et preuve qu’il ne passe pas beaucoup de

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La Pointe Courte

voitures. En bord d’étang, une suite de cabanes en bois donne directement sur l’eau. On imagine une vie particulière où tout le monde se connaît et s’interpelle.

Les baraques sont décorées de dessins naïfs, bel exemple d’art populaire. Parfois, un dicton orne la façade : « Il vaut mieux une sardine sur le gril qu’un thon qui nage », tandis que la buvette annonce « Fermée pour cause de fermeture« . Il flotte sur le quartier un air de liberté (et même libertaire). On est ici à la marge, comme hors du temps. Ce n’est pas en tout cas un lieu commun. Les cabanons donnent sur un petit port où sont amarrées les barques d’étang à fond plat, et où règne l’activité habituelle à ce genre d’endroit. Le temps semble s’être arrêté à la Pointe Courte.

Tous les deux ans, le weekend de Pâques, Escale à Sète est la grande fête des traditions

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Escale à Sète

maritimes : ce rassemblement de vieux gréements permet de découvrir des grands voiliers ; c’est aussi une occasion unique de discuter avec les propriétaires des bateaux anciens (pointus, barques catalanes, sardinals…), d’écouter leurs anecdotes, au son des fanfares qui passent de bistrot en bistrot. Des expositions, des conférences, des ateliers de matelotage… Bref, pour qui aime la mer, c’est un rendez-vous incontournable et festif !

Et cette année coïncidant avec le 350ème anniversaire de la ville promet d’être mémorable.

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Escale à Sète

Un dernier mot. Une année, en escale à Sète, je passais la nuit à bord, le voilier amarré aux places visiteurs, à l’extrémité du môle Saint-Louis. Après avoir dégusté une tielle, je m’endormis rapidement. Je fus réveillé en pleine nuit par une houle anormale dans un port aussi protégé. Le bateau tirait sur ses amarres et roulait d’un bord sur l’autre. Je montai sur le pont et compris aussitôt : c’était le ballet des chalutiers qui sortaient en mer à une vitesse disons conséquente…Inconfortable, mais le spectacle était fascinant.

Le lendemain, levé de bonne heure, je filais à mon tour toutes voiles dehors et le soleil levant me fit un beau cadeau en éclairant les façades de Sète.

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Sète au petit matin

Et enfin, deux informations et une chanson.Affiche Sete

Invité par l’association Filomer de Sète, je donnerai une conférence Découverte insolite du littoral, de Cerbère à Port Camargue, le samedi 18 mars à 18h, à l’Espace Palace, Bd. Victor Hugo à Sète.

Une session de rattrapage aura lieu à Port-Camargue dans le cadre du salon nautique de Pâques le dimanche 27 mars.

 

 

Et pour finir, une chanson. Peu de villes ont eu la chance d’être chantées par un grand poète. On ne peut pas quitter Sète sans écouter encore une fois la Supplique pour être enterré à la plage de Sète de Georges Brassens. Où comment redécouvrir sur des images délicieusement surannées l’attachement du poète à sa ville natale.


3 réflexions sur “Sète : entre mer et lagune, 350 ans d’histoire

  1. Ah, Sète!
    On y est venu, on l’a vu, et on y est revenu!
    Que de souvenirs! Merci Hervé!
    C’est tout d’abord les vacances familiales vers mes 6 ans: le soleil, l’odeur de la mer, la foule sur les quais, un repas au resto avec fruits de mer (et une bonne diarrhée par un mollusque pas frais) et la chaleur dans la caravane et les moustiques. Puis, plus tard m’a formation en vins et spiritueux avec un colloque sur les « wines colors », la visite des quais et de bonnes descentes dans quelques bistrots à la bonne ambiance. Et enfin les voyages scolaires en tant qu’enseignant, promenant les mouflets de Vallègue (cela doit te rappeler des souvenirs) sur les quais, la vente des poissons à la criée, la sortie sur l’étang, la visite des ports, d’un atelier d’ostréiculteur et la baignade sur les plages de Lazaret et de la Corniche…
    Merci pour tes articles qui, à chaque fois, en plus de nous enrichir avec de nouvelles connaissances, nous permettent de retourner dans notre passé tout en nostalgie.
    « Le passé a plus de parfum qu’un bosquet de lilas en fleur » (Toussaint Franz)
    A plus.
    Michel

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