Cerbère ou la dernière traversée d’Alfred Nakache

Le 4 août prochain, cela fera 40 ans qu’Alfred Nakache disparaissait en traversant à la nage la rade de Cerbère. Ironie de l’histoire pour celui qui fut l’un des plus grands nageurs du pays. Et surtout un homme doté d’une force de caractère remarquable et au destin aussi tragique qu’exceptionnel.

Cerbère : son cap, son phare, sa crique profonde si bien abritée, sa gare internationale, ses transbordeuses d’oranges, ses ruelles ombragées et son port aux maisons colorées.

Cerbère : le phare, le cap et la gare internationale

Cerbère, c’est aussi la réserve naturelle marine qui s’étend jusqu’à Banyuls et qui offre des fonds incomparables, au bord d’une côte découpée que l’on peut longer en bateau ou à pied en suivant le sentier du littoral.

La succession des caps de la côte Vermeille – Au fond, le cap Cerbère et son phare

Bref, une bien belle escale quand on descend vers l’Espagne.

C’est ici qu’avait choisi de se retirer Alfred Nakache. Surement y retrouvait-il les couleurs et senteurs de la Méditerranée de son enfance.

Né en 1915 sur l’autre rive, à Constantine dans une famille juive, il manifeste très tôt une phobie de l’eau. C’est pour la combattre qu’il se met à la natation, et remporte rapidement des championnats régionaux. Il participe en 1933 à moins de vingt ans à ses premiers championnats de France et s’installe à Paris. Il gagne (entre autres) le titre de champion de France du 100m nage libre en 1935, 1936, 1937 et 1938. Il se qualifie pour les JO de Berlin en 1938 où il finit 4ème avec le relai 4x200m, juste devant l’équipe allemande.

Puis vint la guerre et la défaite. Il perd sa nationalité française et son poste de professeur d’éducation physique lorsque Pétain abroge le décret Crémieux (décret qui en 1870 avait accordé la citoyenneté française aux juifs d’Algérie). Il rejoint alors la zone libre, s’installe à Toulouse et s’inscrit au club des Dauphins du TOEC. Il se rapproche rapidement des réseaux de résistance juifs. Le soir venu, dans la piscine où il s’entraine, il prépare clandestinement les jeunes recrues avant qu’elles ne rejoignent le maquis : condition physique, maniement des armes. Il est arrêté en novembre 1943 par la Gestapo ainsi que sa femme et leur fille de deux ans. Ils sont envoyés à Drancy, puis partent par le convoi n°66 pour Auschwitz. Ils sont séparés là-bas dès leur arrivée. Il ne sait pas qu’il ne les reverra jamais. A Auschwitz, il subit les humiliations des gardiens allemands qui savent qui il est ; on l’oblige notamment à plonger dans un bassin de rétention d’eau pour récupérer avec les dents le couteau d’un officier allemand. Mais dans ce bassin, il parvient aussi à organiser avec quelques camarades d’infortune des séances de natation clandestines. Séances qui l’aideront à tenir le coup et à survivre à l’enfer du camp.

Alfred Nakache dans sa nage de prédilection : la brasse papillon

Rapatrié en France à la libération, il apprend que son nom a été donné à la piscine municipale de Toulouse, les autorités le croyant mort. Pendant une année, il se rendra régulièrement à la gare Matabiau, espérant le retour de sa femme et sa fille qui malheureusement ne reviendront pas.

Piscine municipale Alfred Nakache à Toulouse

C’est encore vers la natation qu’il se tourne pour surmonter cette nouvelle épreuve. Au cours des mois qui suivent, il récupère physiquement et reprend peu à peu les 40 kg qu’il avait perdu en déportation. Il devient à nouveau champion de France en 1946, bat un nouveau record du monde avec le relai 3x100m trois nages et participe aux JO de Londres en 1948, douze ans après ceux de Berlin. Ce sera sa dernière compétition.

Sa carrière de nageur terminée, il retrouvera un poste de professeur d’éducation physique, entrainera des nageurs pendant quelques années. A la retraite, il s’installe donc à Cerbère, à l’extrême sud du pays, en ce lieu qui lui rappelle les paysages de son enfance, face à cette Méditerranée de sa jeunesse. Il pratiquera la natation pour son plaisir, ou peut-être aussi par un besoin vital. La natation qui lui a donné la force de surmonter tant d’épreuves et qui lui a valu son surnom de « nageur d’Auschwitz ». Jusqu’à ce jour de 1983, lors de son kilomètre quotidien dans le port de Cerbère, où il succombera à une crise cardiaque.

La rade de Cerbère

Il est enterré à Sète, patrie de sa seconde épouse, au cimetière Le Py, celui-là même où repose Georges Brassens. Les noms de sa première femme et de sa fille sont inscrits sur sa tombe.

Note : les photos d’Alfred Nakache ont été récupérées sur internet, sans information sur leur origine


4 réflexions sur “Cerbère ou la dernière traversée d’Alfred Nakache

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