Il y a quelques deux mille ans, une galère romaine se trouve en difficulté à proximité du cap Béar. Elle est probablement en transit entre Narbonne et Tarragone, les deux grands ports de Méditerranée occidentale de l’époque. Il est question d’une voie d’eau. Son capitaine décide alors de venir s’abriter dans cette crique profonde, située juste au nord du cap Béar et déjà bien connue des marins du moment. Une fois dans la calanque, il vient s’échouer dans l’anse Gerbal, sur la face nord, à l’abri de la redoutée Tramontane. Hélas, il ne sauvera pas son navire qui sera retrouvé vingt siècles plus tard.
Pour comprendre pourquoi Port-Vendres, depuis l’antiquité offre une protection exceptionnelle aux navires, il faut prendre un peu de hauteur. Par exemple s’engager sur la route qui mène au cap Béar. De là, on prend la pleine mesure de cette crique profonde et naturelle, à couvert de tous les vents. Un vrai fjord en pays catalan ! Les romains ne s’y étaient pas trompés en abritant leurs galères dans Portus Veneris, le port de Vénus. Idéalement situé sur la route qui menait de Narbonne à Ampurias, puis Tarragone, il constituait un refuge permettant de laisser passer le gros temps avant le passage du cap Béar.
Au moyen-âge, le pays passe successivement sous la coupe des comtes de Barcelone, des rois d’Aragon, et de Majorque. Port-Vendres reste toujours un abri important, mais ne devient toujours pas un port équipé de quais et de digues. En 1659, la ville est intégrée au royaume de France lors du traité des Pyrénées. Vauban, de passage en 1679 comprend l’intérêt militaire du site et commence à le fortifier (construction des redoutes du Fanal, de Béar et de la Presqu’Île). Quelques maisons sont alors bâties au pied de ces forts, constituant un habitat dispersé. Ce n’est que sous Louis XVI que la ville et le port vont se développer, sous l’impulsion d’Augustin-Joseph de Mailly, commandant en chef en Roussillon. Il bâtit des quais, creuse les bassins, installe une caserne et fait édifier en l’honneur du roi cet obélisque qui domine toujours la rade. Conséquence, en 1823, Port-Vendres acquiert enfin le statut de commune et s’émancipe de Collioure dont il dépendait.
En 1830, la conquête de l’Algérie va bouleverser la bourgade et sa rade qui vont connaitre un âge d’or pendant plus d’un siècle, son apogée se situant aux environs des années 1930.
A cette époque, la voie ferrée arrive sur le quai, créant la notion de train-paquebot permettant de réduire à moins d’une heure la durée entre la descente du wagon et l’appareillage. Paris est alors à moins de trente-sept heures d’Alger. L’occupation allemande marque un coup d’arrêt lorsque les occupants dynamitent toutes les installations portuaires lors de leur départ en 1944. Enfin, en 1962, l’indépendance de l’Algérie porte un coup fatal dont le port commercial ne se remettra jamais. En revanche, l’arrivée de pêcheurs rapatriés va dynamiser le secteur de la pêche.
Depuis, l’activité de transport maritime se poursuit malgré tout, mais à un rythme beaucoup moins soutenu. La pêche a aussi connu quelques désillusions avec l’arrêt de la criée. Les poissons des petits métiers se vendent directement sur le quai et contribuent à l’authenticité du caractère maritime de la cité. La plaisance occupe désormais une place plus importante dans les bassins et une politique d’accueil de super yachts semble se dessiner. Attention toutefois à ne pas tomber dans des dérives dont se plaignent désormais les habitants de Barcelone ou de Palma de Majorque.
Ce premier weekend de septembre, la commune célébrait ses deux cents ans d’existence. Tandis qu’arrivent les unes après les autres les barques à voile latine venues participer à la manifestation, je commence ma déambulation au pied de l’Obélisque, direction l’anse Gerbal, là où tout a commencé.
Sur le quai du Fanal, les pêcheurs des petits métiers vendent leur pêche du jour dans des étals, juste devant leur bateau.
Un peu plus loin, devant une échoppe minuscule située sous la rue Arago, un artisan s’affaire au travail du métal dans un atelier minuscule tenant de la caverne d’Ali Baba.
Plus loin, en terrasse d’un tout petit bistrot, des habitués jouant aux cartes font immanquablement penser à Pagnol. Ambiance locale garantie. La rue monte ensuite au-dessus de la zone technique, domaine des pêcheurs professionnels et surplombe l’anse Gerbal. On parvient enfin à la redoute du Fanal et son feu vert, signalant l’entrée du port. De là, la vue porte jusqu’à l’horizon lointain.
Le retour s’effectue par la rue Arago, ancienne rue du soleil. On est ici dans l’un des plus vieux quartiers de la ville, qui a conservé son âme. Et l’on se prend à rêver d’un appartement dans l’une de ces ruelles avec vue imprenable sur la rade, et où tout le monde se connait et s’interpelle. En bas de la rue, une belle découverte : La librairie Oxymore, ouverte depuis deux ans. Seule librairie entre la frontière espagnole et Perpignan, elle propose un choix ambitieux et varié de bouquins, de la littérature aux carnets de voyages et récits maritimes.
Retour sur les quais pour saluer l’équipage de l’Ange-Gardien, trois-mâts à voiles latines, réplique du bateau du corsaire Terrisse, venu spécialement d’Agde pour l’occasion.
Sur l’eau, telle une puce devant un mastodonte, une barque catalane passe nonchalamment devant le CS SERVICE, cargo réfrigéré en provenance d’Abidjan et qui finit d’embarquer des conteneurs avant de poursuivre sa route vers Vado Ligure en Italie.
Ainsi va la vie à Port-Vendres, un weekend de bicentenaire. A 16 heures, voilà enfin l’arrivée du Belem, invité d’honneur de la manifestation. En provenance de Barcelone, il se présente devant la rade, accompagné d’un cortège de voiles latines venues lui rendre hommage.
Une fois embarqué le pilote, il pénètre dans les bassins sous les applaudissements de la foule, massée sur les quais.
Le weekend pourra se poursuivre tranquillement, dans une ambiance familiale et bon-enfant, entre fanfares sur les quais et expositions à visiter.
Longtemps restée dans l’ombre de Collioure, sa lumineuse voisine, Port-Vendres l’industrieuse trace de son côté un singulier et authentique sillon.
Très belle évocation, Hervé, comme toujours, de ce petit port cher à mon cœur. Et pour cause : c’est là que j’ai acheté mon voilier !
Amitiés.
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Merci Vincent pour ce témoignage. C’est vrai que Port-Vendres est une cité attachante.
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je viens de faire un saut à Port-Vendres depuis chez moi grâce à Hervé sans alourdir le bilan carbone
Grand merci !
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Merci Franck !
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