« Bienvenus à bord ! »
C’est presque ce qu’aurait pu dire le Maitre principal qui nous accueillait ce jour-là à l’entrée du sémaphore de Leucate, exceptionnellement ouvert au public en ces journées du patrimoine. Oui, ouverture exceptionnelle car les sémaphores sont des établissements militaires, rattachés à la Marine, et dans lesquels le vocabulaire est le même qu’à bord des bâtiments de la Marine Nationale. Les guetteurs se relaient sur la passerelle en faisant des quarts, c’est un pavillon qui flotte sur le mât, etc…
Ces sentinelles immobiles sont essaimées le long du littoral, si possible en hauteur pour mieux assurer leurs fonctions.

Le sémaphore de Leucate, en bord de falaise
Leurs missions
Surveillance en mer en premier lieu : il s’agit d’identifier les bâtiments approchant de nos côtes. S’il s’agit d’un navire de commerce (cargo, tanker, etc…), il sera contacté par radio. Les informations qu’il fournira (provenance, destination, cargaison) seront vérifiées. Les navires suspects (narcotrafiquants) seront signalés aux douanes ou à la gendarmerie maritime. Leur rôle est aussi de s’assurer aussi que les règles relatives à la pêche sont respectées (zones réservées).
Ils contribuent également en coordination avec les CROSS (Centres Régionaux Opérationnels de Surveillance et de sauvetage) à la sécurité de la navigation et à la sauvegarde de la vie humaine dans la zone côtière. Sur la falaise de Leucate, ils sont les mieux placés pour repérer un véliplanchiste se faisant entrainer au large par la Tramontane. Souvent appelés par radio VHF par les plaisanciers, ils peuvent donner des informations météo ou confirmer au bateau appelant que sa radio fonctionne correctement.
Enfin, ils participent à la surveillance aérienne ainsi qu’à la prévention des pollutions en mer et des feux de forêts. D’où l’importance dans notre région d’une passerelle ouverte sur 360°.

Depuis le sémaphore : une vue imprenable
Une longue histoire
Ces tours de surveillance ne datent pas d’hier. Les romains, combattants avertis, en avaient bâtis plus d’un millier en Gaule. Au XVe siècle sont édifiées les fameuses tours génoises en Corse.

Tour génoise – Corse
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des redoutes et batteries sont implantées le long du littoral : tour de la Vieille Nouvelle, les huit redoutes (dont celle de Ballestras à Palavas) construites entre 1743 et 1746 entre le Grau-du-Roi et le cap d’Agde, et bien d’autres encore.
En 1806, Napoléon fait construire un réseau de tours de surveillance, communiquant entre elles par un système de bras articulés sur un mât. Certains de ses ouvrages survivront plus d’un siècle. Celui de Leucate sera détruit par les allemands pendant l’occupation.
Un évènement dramatique qui change tout
Après-guerre, ils sont progressivement remis en service, mais n’assurent pas forcément une surveillance permanente, jusqu’à ce jour de février 2001. Ce samedi 17 février, le sémaphore du cap Dramont est fermé pour cause de weekend ; un cargo que personne n’a vu venir vient s’échouer sur la plage d’Aiguebonne, commune de Saint-Raphaël, quasiment au pied du sémaphore. A bord, 908 personnes, kurdes pour la plupart et fuyant le régime de Saddam Hussein. Tous débarquent et seront pris en charge d’abord par la population, puis par les autorités. Au-delà du drame humain, le gouvernement constate qu’un navire peut atteindre en toute impunité les côtes françaises, avec tous les risques (terrorisme, pollution) que cela comporte. A compter de ce jour, la plupart des sémaphores sont mobilisés 24h/24 et 7 jours sur 7.

Sémaphore de Dramont
Reconstruit en 1990, l’établissement de Leucate est l’un des dix-neuf sémaphores qui jalonnent les côtes françaises de Méditerranée (dont sept en Corse).
A l’intérieur de la passerelle, écrans radar, ordinateurs sur lesquels s’affichent les cartes marines des zones concernées et sur lesquelles apparaissent les navires équipés du système AIS (tous les navires professionnels ont obligation d’avoir à bord une balise émettrice qui signale leur position et fournit des données comme le cap suivi, la vitesse, le nom et le type de navire). Montée sur son axe pivotant, la jumelle télescopique me permet d’identifier rapidement quelques bâtiments remarquables situés à Gruissan à vingt-deux kilomètres de là à vol d’oiseau.
Les sémaphores de Méditerranée sont la plupart du temps construits dans des zones sauvages, si possible en hauteur, souvent à proximité d’un phare. Ils sont autant de prétextes à des balades menant à des paysages à couper le souffle. Le choix ne manque pas, de Cerbère à Menton. Allez voir par vous-mêmes !



Sémaphore et phare de l’Espiguette ; le seul au niveau de la mer
Cap Béar (altitude 82m) Leucate (altitude 52m) Sète (altitude 71m) L’Espiguette (niveau de la mer) La Couronne (altitude 27m) Bec de l’Aigle (altitude 316m) | Cap Cepet (altitude 123m) Porquerolles (altitude 145m) Cap Camarat (altitude 125m) Dramont (altitude 126m) La Garoupe (altitude 75m) Cap Ferrat (altitude 138m) |


Cap Béar (à gauche) et cap Camarat (à droite)
Références : le beau livre Sémaphores de Méditerranée – Djinn et Christophe Naigeon – Gerfaut
Très instructif et intéressant comme d’habitude….Il existe aussi un signal ferroviaire appelé sémaphore. C’est un feu rouge qui impose l’arrêt avant le signal mais le mécanicien est autorisé à le franchir en respectant la « marche à vue » (vitesse très réduite) jusqu’au signal suivant….Georges Brassens emploie aussi le nom dans son incontournable « les copains d’abord »…
« Et quand ils étaient en détresse
Leurs bras lançaient des S.O.S.
On aurait dit des sémaphor’s
Les copains d’abord »
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Merci Claude pour ton commentaire. Quand à Brassens, cela coule de source…
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