Port-Vendres, un samedi de février. J’ai rendez-vous sur les quais avec Cyrille. Elle arrive essoufflée, les mains pleines de cambouis pour cause de changement de roue inopiné…
C’est par les réseaux sociaux que j’ai découvert, il y quelques années, des vidéos que postait Cyrille sur son périple en Italie du sud, puis en mer Egée. Si lesdits réseaux et leurs algorithmes ont l’inconvénient de vous enfermer dans vos centres d’intérêt, ils ont aussi l’avantage de vous proposer des contenus correspondant à vos attentes. Et j’ai immédiatement beaucoup aimé les reportages qu’elle publiait. Et je m’étais promis de l’interviewer une fois qu’elle serait rentrée. D’où le rendez-vous de ce jour, même pas contrarié par le pneu crevé.
Port-Vendres, elle y passe son enfance (école, collège) avant de filer au lycée de Céret. Le BTS d’hôtellerie qui suit va lui ouvrir des horizons. Car ce qu’elle souhaite depuis longtemps, c’est voyager. Direction la Guadeloupe pour plusieurs années de travail. Puis c’est Paris, avec un poste d’assistante de direction dans un grand hôtel. Un voyage dans le sud l’amène à Marseille et c’est le choc. La lumière du ciel et les couleurs de la Méditerranée. Les odeurs de la garrigue. Mais comment a-t ’elle put rester si longtemps loin de cela ? C’est décidé, elle ne quittera plus les rives de la Grande Bleue. Elle s’y installe donc avec son compagnon et très vite, tous deux se mettent à la voile. Une passion soudaine, qui ne s’était pas manifestée lors de ses années de jeunesse sur la côte Vermeille.
Après avoir fait deux stages, ils courent la côte en quête du bateau de leurs rêves, celui qui leur permettra de filer vers le sud sans date de retour.
C’est à La Seyne-sur-mer qu’ils dénichent Sauvage, un Gladiateur de dix mètres de long datant de 1978. C’est le coup de foudre. Son côté marin, son intérieur en teck, son habitabilité avec ses 3,40m de maître-bau (plus grande largeur) ; c’est le bateau qu’il leur faut.
Suit alors le temps des aménagements sur le bateau pour l’équiper et l’adapter à ce périple qui se profile. Sachant qu’ils vont privilégier les escales au mouillage plutôt que dans les ports, ils investissent dans une chaîne de 80 mètres de long pour rester dans des criques en toute sécurité. En parallèle, ils multiplient les périodes d’entrainement sur l’eau, pour prendre en main ce nouveau compagnon et se familiariser avec lui.
Nos deux apprentis-aventuriers n’appréciant guère les tours dans l’eau devant le port, ils vont progressivement naviguer de plus en plus loin et passer leurs nuits au mouillage dans des abris de la côte. Cyrille découvre aussi que, naviguer à la voile, c’est 90% d’embêtements pour 10% de bonheur. Mais ce dernier est d’une telle intensité qu’il compense largement les moments de galères. Elle réalise aussi que la voile, ce n’est pas la liberté, contrairement à l’idée que l’on peut s’en faire, tellement les contraintes (météo notamment) sont fortes. Qu’importe. Ils sortent de cette période confortés dans leur idée de départ.
En 2016, ils décident de faire un galop d’essai avant de tenter la grande aventure. C’est en mai qu’ils larguent les amarres et partent vers Malte, pour un périple de quatre mois. C’est la révélation. Cyrille découvre la magie des quarts de nuit, entre anxiété et émerveillement.
Leur voyage les conduit en Corse, aux Lavezzi, en Sardaigne, au golfe de Naples, aux Eoliennes, en Sicile et enfin à Malte. De retour en France, c’est décidé, ils vont bien repartir, cette fois-ci sans date de retour.
Mais là, c’est un changement de vie radical. Il leur faut en effet rendre l’appartement et se défaire de la quasi-totalité de leurs affaires : meubles, vêtements, livres et autres souvenirs ou objets personnels. Un crève-cœur. Seul le strict nécessaire sera conservé. Côté vie à bord, le maitre mot sera la sobriété : pas de frigo, d’eau chaude ou de chauffage.
Enfin, en mars 2017, c’est le grand départ. Sauvage met son étrave dans le sillage du printemps précédent, puis s’ouvrent de nouveaux horizons. La mer ionienne et ses îles, le canal de Corinthe, et enfin la mer Egée.
Ce sont alors des semaines et des mois d’heureux vagabondages d’île en île, de mouillages de rêves et d’heureuses rencontres. C’est au cours de cette période que Cyrille postera ses vidéos que je regarderai avec plaisir et envie. Côté finance, le budget est plus que serré. Pendant toutes ces années, ils vont vivre à deux avec environ 600 € par mois, soit 20 € par jour, tout compris (nourriture, carburant, frais divers). Leurs économies leur permettent de tenir une première année, ensuite, il faut remplir la caisse de bord. Cyrille propose des traductions français anglais dans le domaine maritime, activité qui peut se pratiquer à distance. Elle aura bien quelques clients, mais les contraintes dues à la navigation, l’absence de liaison internet dans les criques où ils s’arrêtent vont contrarier cette idée pourtant séduisante.
Cyrille retrouve alors le métier de ces débuts, et effectue deux saisons en Crète dans l’hôtellerie. Une autre année, elle sera guide pour touristes dans une oliveraie.
Les mois et les années coulent ainsi, mais eux-aussi, pourtant retirés du monde vont bientôt se faire rattraper par une conséquence de la mondialisation : la pandémie de Covid et les confinements.
Fidèles à leur ligne de conduite, ils ne vont pas chercher refuge dans un port, mais dans un mouillage. Il faudra que celui-ci soit bien abrité de tous les vents, proche d’un village pour le ravitaillement. Cet abri, ils vont le trouver à Elounda, au nord-est de la Crète, dans une baie parfaitement protégée de la houle du large par l’île de Spinalonga, l’île des lépreux, rendue célèbre par le best-seller de Victoria Hislop, l’île des oubliés.
Là, ils vont vivre deux ans sur le bateau, mettant pied à terre pour se ravitailler et conserver quelques contacts avec la population. Deux années dans des conditions assez peu confortables, sans une vraie douche.
La liberté retrouvée, l’idée du retour commence à germer, comme si cette parenthèse devait se refermer. Comme si le tour de la question avait été fait, en tout cas, pour le moment. L’ancre relevée, direction nord-ouest et le pays natal. Au fil des semaines, les milles s’alignent, les ramenant tous deux vers le Golfe du Lion. Les côtes de France en vue, une question se pose : où trouver une place dans un port ? On sait que la réponse n’est pas simple. Ironie du sort, c’est à Banyuls, à quelques encablures du Port-Vendres de son enfance qu’ils sont accueillis.
Sauvage est vendu et une nouvelle vie commence, plus conventionnelle. Cyrille est désormais installée dans les Pyrénées Orientales, dans les collines du Fenouillèdes. La mer n’est pas loin et chaque fois que l’envie lui prend, elle peut aller s’y ressourcer, et laisser porter le regard au loin, vers ces rivages lointains qu’elle a sillonnés pendant toutes ces années et qui la marqueront à jamais…
Note : toutes les photos du voyage ont été fournies par Cyrille
Et pour mémoire, le film Femmes d’ici en Méditerranée qui en 4 mn présente les portraits de femmes réalisés sur ce blog ces dernières années.
toujours aussi beau et aussi captivant .Bravo
Michel
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Merci Michel ; Cyrille nous a conté une belle aventure, une vraie tranche de vie.
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Cyrille, que j’ai connue toute jeune fille réservée, passionnée de littérature, était finalement une véritable aventurière ! Son destin n’est pas banal. Bonjour à elle avec mon souvenir affectueux. Catherine D
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Merci pour votre témoignage. Je transmettrai à Cyrille.
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Belle rencontre ! Finalement l’Aventure existe encore… Ouf !
Merci Hervé
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Et oui, ce genre de récit fait du bien, par les temps qui courent…!
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